Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) a chiffré la vulnérabilité des catégories les plus sensibles à l’insécurité professionnelle.

Par Anne Rodier Publié le 02 juillet 2019 – Le MONDE –

« Une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé publiée fin mai révèle que les licenciements collectifs affectent significativement la santé mentale des salariés qui restent dans l’entreprise. Leur consommation de psychotropes augmente de 41 % à la suite des départs de leurs collègues, observent les auteures, Christine Le Clainche et Pascale Lengagne, deux chercheuses du CNRS et de l’Irdes.

L’étude menée dans le secteur privé a mesuré la santé mentale des salariés de 20 à 65 ans sur la période 2010-2013, à partir de la consommation d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et autres drogues hypnotiques prescrites par un médecin, avant, pendant et après un licenciement collectif, sur la base des données de la Sécurité sociale. Les résultats confirment l’ampleur des dégâts provoqués par les licenciements collectifs, connus jusqu’alors à travers l’augmentation du nombre de maladies cardio-vasculaires, du stress, et de la consommation de tabac.

« Toutes les réorganisations présentées comme des réponses à la mauvaise santé économique de l’entreprise génèrent de l’anxiété. Car les salariés qui échappent à une vague de départs se demandent si c’est la dernière et s’ils passeront la prochaine », explique Philippe Zawieja, chercheur de l’université de Sherbrooke (Canada) et membre de la commission nationale santé et qualité de vie au travail de l’Association nationale des DRH. Les salariés redoutent également une charge de travail supplémentaire et culpabilisent. « Un licenciement collectif est un traumatisme, car c’est une perte de matière, une amputation du corps de l’entreprise. Il y a un deuil à faire et plus on connaît les collègues, plus le travail de deuil est important. »

Mais tous les salariés ne sont pas égaux face aux risques psychosociaux. Plusieurs catégories sont identifiées par cette étude comme plus vulnérables aux licenciements collectifs : les faibles revenus plus que les hauts revenus, les femmes plus que les hommes, les temps partiels plus que les temps pleins, les couples sans enfant, les célibataires et les parents isolés, plus que les couples avec enfants. Leur consommation de psychotropes augmente nettement plus à la suite d’un licenciement collectif dans leur entreprise, avec un écart de 4,5 points de pourcentage entre les femmes et les hommes par exemple et autant entre les salariés à temps partiel et ceux à temps plein.

Les auteures n’excluent pas que les hommes aient une plus faible propension que les femmes à se soigner. Elles notent également que les CSP + peuvent « être moins affectés par les licenciements économiques (..), dans la mesure où il leur est plus facile de retrouver un emploi ». Ils ont aussi un accès plus facile que les catégories moins favorisées à des traitements alternatifs comme la psychothérapie.

 

Sachant que la consommation durable de psychotropes réduit la vigilance et affaiblit la mémoire, « elle pourrait aussi affecter la productivité individuelle », alertent les auteures. Dans un contexte de licenciements collectifs, les entreprises ont plus que jamais intérêt à soigner leur politique de prévention des risques psychosociaux »

Or combien de projets de PSE, de négociations, de documents présentés aux instances représentatives du personnel comprennent, abordent et émettent des «systèmes de prévention » non seulement pour les victimes directes (les salariés sur les postes impactés) mais aussi et surtout les « survivants ». Il faut éduquer, former, agir sans relâche afin d’intégrer aux plans de réorganisation de vrais plans de prévention des risques professionnels

P.DELMAS, 12 juillet 2019