qualité de l’information aux irp 090518

Le dialogue social et « la bonne foi »

 

Au moment où l’expression « dialogue social » figure comme la principale préoccupation des directions des entreprises (théoriquement dès le stade TPE), des organisations syndicales (partagées sur leur avenir comme réels corps intermédiaires reconnus du fait des positions gouvernementales affirmées depuis un an), il serait peut-être judicieux de rappeler quelques évidences.

 

Il en est une – fondamentale : en matière de droit du travail, la bonne foi est au cœur des relations existant entre employeur et salarié.

 

L’article L. 1222-1 dispose de manière particulièrement explicite que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

 

Par ailleurs, parce que le contrat de travail est par nature un contrat déséquilibré mettant le salarié en état de subordination moyennant rémunération du temps de travail, le législateur et le juge entendent la loyauté de l’employeur de manière extensive.

 

L’objectif premier de la bonne foi est la protection juridique du rapport de confiance contractuelle.

 

Largement entendue (loyauté, solidarité,  proportionnalité et souci de l’équilibre contractuel), elle s’impose dans toutes les phases de la vie du contrat : négociation, information, conclusion, exécution, interprétation, modification, renégociation, inexécution, rupture et ses conséquences ».[1]

 

« C’est la bonne foi qui est présumée et […] la fraude doit être établie par celui qui l’allègue »  [2]

 

 

A l’heure où est – de nouveau mis en avant le « dialogue social », (il ne faudrait pas oublier les nombreux textes reprenant comme antienne « la rénovation du dialogue social » depuis plus de 10 ans ) et où les repères juridiques, culturels de la représentation du personnel (notamment avec le CSE) donnent à penser que les directions des entreprises pourraient se prévaloir de « souplesses » , il n’est pas interdit de rappeler qu’au final, la jurisprudence retient bien la nécessité – au moins formelle – de faire en sorte qu’il y ait mise à disposition d’informations fiables, de bonne qualité, adaptées aux enjeux et procédures qui nécessitent l’information consultation des instances représentatives du personnel (comme le CSE)

 

 

Il est donc intéressant de mettre en parallèle deux arrêts de la Cour de Cassation, l’un en faveur d’un CE, l’autre en faveur d’un CHSCT afin de montrer que – le dialogue social – au moins formellement- doit être basé sur la nécessité pour les Directions de « jouer le jeu » et donc de reposer sur « la bonne foi » (que d’aucun pourrait baptiser d’un mot à la mode : « transparence »).

 

Dans le premier arrêt – récent (2018) relevé, il faut retenir [3]«… que dans l’exercice de ses attributions consultatives, le comité d’entreprise émet des avis et vœux, et dispose pour ce faire d’un délai d’examen suffisant fixé par accord ou, à défaut, par la loi ; que lorsque les éléments d’information fournis par l’employeur ne sont pas suffisants, les membres élus du comité peuvent saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants ; que cependant lorsque la loi ou l’accord collectif prévoit la communication ou la mise à disposition de certains documents, le délai de consultation ne court qu’à compter de cette communication ; que tel est le cas, dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, de la base de données prévue à l’article L. 2323-7-2 du code du travail, alors applicable, qui est, aux termes de l’article L. 2323-7-1 du même code alors applicable, le support de préparation de cette consultation. »

 

Dans cette espèce, le comité d’entreprise avait saisi le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour lui demander, d’une part, de constater que le délai de consultation sur les orientations stratégiques n’avait pas couru faute pour l’employeur d’avoir mis à disposition les documents d’information nécessaires,

 

La cour d’appel avait retenu qu’en saisissant le président du tribunal de grande instance plus de quatre mois après la communication par les sociétés du groupe d’informations qu’il jugeait insuffisantes sur les orientations stratégiques du groupe, le comité d’entreprise avait agi au-delà du délai préfix prescrit par les dispositions légales (et notamment celles modifiées récemment par les « ordonnances Travail »)

 

La Cour de Cassation a jugé que l’employeur n’ayant pas mis à sa disposition la base de données économiques et sociales rendue obligatoire par l’article L. 2373-7-2 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, il résultait que le délai de consultation n’avait pu courir.

 

Dans le deuxième arrêt [4] (plus ancien mais toujours d’actualité) que nous relevons, il avait été noté par la Cour d’Appel, que pour débouter un CHSCT de sa demande, l’arrêt retient que les informations communiquées par l’employeur sous forme d’un « PowerPoint » de huit pages contenaient une description sommaire du projet dans ses grandes lignes, présenté sous le seul angle de l’amélioration de la qualité des soins et des conditions de travail, les inconvénients prévisibles comme la fatigue du personnel n’étant nullement examinés, que pour autant, cette insuffisance ne permettait pas de conclure que la Direction ait méconnu l’obligation de consulter le CHSCT.

 

La Cour de Cassation a jugé qu’en statuant ainsi, « alors qu’il résultait de ses constatations que les informations données par l’employeur au CHSCT étaient sommaires et ne comportaient pas d’indications relatives aux conséquences de la réorganisation du service sur les conditions de travail des salariés, de sorte que le comité ne pouvait donner un avis utile, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations qui caractérisaient l’existence d’un trouble manifestement illicite, a violé les textes susvisés »

 

 

Par-delà les principes rappelés, il parait nécessaire de rappeler aux entreprises la nécessité absolue, au moment de présenter un projet « important » de réaliser – en amont de la présentation formelle du projet :

 

  • à un examen minutieux  du contenu réel et de la conformité réelle de leur BDES (surtout depuis l’ordonnance …). Afin d’éviter certaines difficultés, la mise en place d’un accord sur la BDES (plus largement sur la qualité et la quantité des informations nécessaires à un bon dialogue social) semble s’imposer…

 

  • à la construction de véritables argumentations, présentations, analyses sur le projet présenté en prenant garde de bien prendre en compte désormais (plus qu’avant où bon nombre de documents remis aux CHSCT étaient la simple copie des documents remis aux CE sans prise en compte de leurs mission et rôle) l’intégralité des missions du CSE afin de pouvoir – en toute bonne foi- demander un avis éclairé. Il faudra pour cela rédiger des documents abordant tous les sujets du ressort du CSE (et notamment ceux relatifs aux conséquences de ce projet sur la sécurité, santé, conditions de travail) de façon exhaustive.

 

A défaut de quoi, d’une part, il serait légitime que les organisations syndicales se saisissent de telles jurisprudences à l’heure du CSE et que, d’autre part, le « dialogue social » ne soit qu’une simple théorie…

 

[1]  Rapport de la Cour de Cassation sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations  dit projet Catala).

[2] Cass.Soc. 13 octobre 2004

[3] Audience publique du 28 mars 2018 Cassation Arrêt no 528 FS-P+B Pourvoi no V 17-13.081

[4] Cour de cassation Chambre sociale  Audience publique du 25 septembre 2013  Pourvoi n° 12-21747